Jardiniers de la Création

Les Frères Missionnaires des Campagnes ont fondé en 2012 dans l’Orne un prieuré attentif aux questions d’écologie et d’environnement. Dominique, 59 ans ; Emmanuel, 63 ans ; Claude, 79 ans ; Paul, 78 ans, y font communauté tout en participant à la vie de la population et de l’Eglise locale.

Il suffit qu’un des frères sorte dans les rues du village de La Carneille (600 habitants) pour avoir la confirmation que la communauté s’est parfaitement enracinée dans cette parcelle de Suisse Normande. Ce matin, pendant que Paul célèbre la messe à l’EPAHD de Briouze, à 12 km, et que Dominique tond des pelouses dans la commune voisine de Sainte-Opportune, Claude, parti chercher le pain, salue le garagiste, bavarde 5 minutes avec un voisin, échange quelques plaisanteries avec une dame qui vient de temps à autre prier avec eux. Emmanuel, lui, est parti pour la journée à Rouen au titre de son quart temps en tant qu’aumônier diocésain de l’ACE (Action Catholique des Enfants).

Soutien à l’Action catholique rurale/présence au travail/Écologie ; voilà le trépied sur lequel repose la communauté !

frere emmanuel 6Quatre travailleurs de la terre

La communauté, qui vit au rythme de la nature doit également s’adapter car elle est l’une des rares à compter à parité deux retraités et deux salariés.
Dominique partage son temps entre la mairie de Sainte-Opportune le mardi comme cantonnier, une jardinerie à Argentan trois jours par semaine et des travaux de jardinage ou défrichage chez des particuliers. Ce fils d’agriculteurs, titulaire d’un BEP de jardinier qui fut vendeur en jardinerie affirme qu’il est « sensible mais pas moteur » dans cette recherche écologique. Il le dit …. tout en préparant artisanalement les yaourts pour la communauté et en racontant qu’il « ne désherbe jamais avec le pulvérisateur ».

Le deuxième jardinier salarié, intervenant chez des personnes souvent âgées et veuves, c’est Emmanuel. Ingénieur en agriculture, passionné de botanique, il a suivi une formation en écologie appliquée, a participé à des rencontres avec le groupe de travail « Mode de vie Environnement » de la Conférence des évêques de France, collabore à un blog « Église et Écologie » et est membre d’un réseau d’éco-jardiniers. Il faut l’avoir accompagné dans son carré de terre pour percevoir sa fibre verte. Avec enthousiasme il explique ses essais de permaculture en buttes, montre le filet qui empêche les fraises d’être mangées par les oiseaux, évoque ses projets de mettre des pieds de potiron au pied des piquets, etc. Près de son jardin, il a placardé cette citation du sociologue orthodoxe Michel Maxime Egger : «  On ne pourra pas garder et travailler durablement le jardin de la terre sans veiller et cultiver le jardin de notre âme, notre terre intérieure ». (‘‘La terre comme soi-même’’ Labor et Fides 2012)

‘‘Témoins du Christ auprès de nos frères les ruraux’’

Claude, qui a travaillé dans la ferme parentale jusqu’à ses 23 ans reconnaît qu’il est un converti de l’écologie, « bousculé notamment par Laudato Si, mais heureux d’être dans cette aventure ». « Il ne s’agit pas seulement, explique-t-il, d’une question pratique de tri des déchets. Nous sommes des chercheurs autour de la question du Dieu créateur. Nous ne sommes pas venus avec notre drapeau pour écologiser mais pour vivre l’Evangile avec cet accent particulier. L’écologie est une question de société à laquelle les chrétiens ont à répondre.

La communauté s’implique dans la fête de la Création ou encore dans le groupe « Chrétiens et Ecologie dans le Bocage » qui réfléchit entre autres au maintien équilibré des haies sur les terres agricoles. Mais l’essentiel, reste la relation à vivre dans la prière et la vie ordinaire avec Dieu et avec les frères ; « expérimenter que le Christ peut nous humaniser l’un par l’autre et être témoin de l’Evangile », commente Claude.  Lui joue à la belote dans le club des anciens et a rejoint un groupe de peintres du village. Il est, par ailleurs, engagé dans un groupe œcuménique du Calvados et missionné comme délégué diocésain à la vie religieuse.

Quant à Paul, aumônier du CMR (Chrétiens en monde rural) pour le diocèse, disponible comme Claude le dimanche pour célébrer la messe, il se rend régulièrement aux Restos du Cœur à Flers pour aider, donne un coup de main au Comité des fêtes de La Carneille, participe aux rencontres d’un groupe de retraités syndicalistes, et passe beaucoup de temps dans son jardin car « physiquement, explique l’ancien ouvrier agricole, il faut que je travaille ». Avec son accent qui continue à rouler un torrent de cailloux de sa Garonne natale,  il déclare : « Bien sûr on fait son trou partout mais je suis heureux d’être là où le Seigneur m’a tiré. Je le remercie ».

Chantal Joly


Cet article a été rédigé pour le rapport 2017 d’Église en périphérie.cour_rapport_peripherie_2017

Ce rapport met en lumière la façon dont les religieux(ses) vivent en périphérie. La seconde partie explore l’habitat partagé dans ses différentes formes, à travers des reportages qui illustrent la richesse et la fécondité de ces nouvelles formes de cohabitations vécues avec les plus fragiles.

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