Des agriculteurs sous pression : une profession en souffrance

solidarité paysansUn rapport d’étude sur les mécanismes psychosociaux en jeu chez les agriculteurs en difficulté.

L’étude réalisée en 2015, dans 3 régions françaises, constitue la phase exploratoire d’un projet pluriannuel relatif à l’accompagnement psychosocial des agriculteurs rencontrant des difficultés sur leur exploitation. Des entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès de 27 exploitants agricoles ou proches d’exploitants, vivant ou ayant vécu une période délicate et montrant des signes de souffrance psychique.
L’étude montre une souffrance importante liée à la fois au contexte et aux conditions d’exercice du métier d’agriculteur.
Dans le contexte agricole actuel, la pression financière est considérable. Les dettes pèsent lourdement sur l’entreprise. Le quotidien est décrit par les agriculteurs comme « intenable » entre les appels des créanciers et la difficulté à faire vivre sa propre famille. Les agriculteurs disent « pouvoir difficilement vivre de leur métier ». Les familles n’ont souvent pas d’autres choix que de vivre avec le Revenu de Solidarité Active.
Une autre forme de contrainte est exercée par les exigences professionnelles qui rendent l’exploitant corvéable 365 jours par an. Vie privée et vie professionnelle s’imbriquent sans pouvoir dégager de temps de repos. Le corps des agriculteurs est soumis à rude épreuve de par une forte pénibilité du travail, dans un milieu qui n’a pas l’habitude de ménager ses efforts. L’épuisement décrit par les exploitants agricoles est un facteur de risque pour la santé, pouvant conduire à un point de rupture tel qu’un accident du travail ou une dépression, fragilisant encore un peu plus l’exploitation.
L’étude souligne qu’un certain nombre d’agriculteurs vit une autre forme de pression : celle de l’héritage familial. Un patrimoine leur a été transmis, il faut le transmettre à leur tour. La vie des exploitants reste très liée à l’histoire d’une famille et à la transmission d’un capital et d’un faire-valoir. Dans le milieu agricole, il est fréquent qu’un des enfants soit prédestiné à la succession de l’entreprise familiale, sans que ce soit un choix véritable. L’exploitant se retrouve à 30, à 40 ou 50 ans avec une vie de contraintes qui pèse trop lourd sur sa santé, sur son couple et sur ses propres choix de vie. Souvent, les parents restent très présents dans la gestion de l’entreprise familiale, avec une pression, plutôt patriarcale, qui peut empêcher les successeurs de prendre sereinement leur place et leurs décisions.
Le plus surprenant dans les résultats de cette étude n’est peut-être pas tant le poids des difficultés financières, reconnues depuis longtemps, que le poids du relationnel dans un milieu où l’on a plutôt tendance à parler d’isolement. ; en effet, les conflits apparaissent comme la deuxième raison de mal-être dans le panel étudié (après les problèmes financiers) : conflit avec l’associé, avec le voisin, avec l’ex-conjoint, etc.
Il est important de retenir que l’exploitation agricole fonctionne sur un équilibre précaire. Toute la situation est tendue pour une grande majorité d’exploitations. Dès qu’un évènement perturbe l’équilibre, le système s’enraye : divorce, maladie, décès d’un parent, d’un conjoint, conflit… La situation se dégrade, les problèmes s’accumulent, et par effet « boule de neige » les difficultés deviennent moralement insupportables.
Quand le psychisme souffre, les agriculteurs sont peu enclins à se rendre chez le médecin et encore moins chez un spécialiste comme un psychiatre ou un psychologue. Mais contrairement aux idées reçues, ils savent très bien décrire ce qui leur arrive, malgré la loi du silence qui pèse dans les campagnes, les empêchant d’exprimer leur mal-être et de partager avec les voisins les difficultés rencontrées.
Ils expriment un sentiment d’impuissance, un besoin de reconnaissance de leur travail. Ils parlent de leur peur de l’avenir, des ruminations qui les empêchent de dormir, de leur irritabilité, des pleurs fréquents, de déprime, voire de dépression. Beaucoup préfèrent ne pas regarder l’ampleur des problèmes pour garder espoir mais certains confient que la seule issue pour eux serait le suicide.
Ceux qui sont sortis d’affaire aujourd’hui expliquent qu’ils ont tenu le coup pour deux raisons : pour leurs enfants et parce qu’une solution s’est petit à petit dessinée, leur propre solution, pas celle qui aurait pu leur être imposée. Ils avaient besoin d’être écoutés et d’avoir du temps pour prendre leurs propres décisions : que ce soit pour régler la situation à l’amiable, s’engager dans un redressement judiciaire sur plusieurs années ou changer de métier. La prise de décision est une étape importante dans leur cheminement, elle permet de trouver une issue acceptable et soulage de la pression subie par l’exploitant et sa famille.etudesolidaritepaysans_rapportcomplet_mars2016