Plus vite, plus haut, plus fort – note sur la gronde agricole
Arnaud Favart, février 2024
« PLUS VITE, PLUS HAUT, PLUS FORT »
Faut-il s’étonner que la devise olympique soit le moteur de la société industrielle ? La mécanisation devait délivrer les paysans de la pénibilité physique et de tâches ingrates, la chimie décupler les rendements, l’agro-industrie assurer la sécurité alimentaire et nourrir abondamment des villes toujours plus grandes. La course à la performance est devenue un cycle infernal pour les agriculteurs qui se sentent dénigrés malgré leurs efforts. Faire davantage, produire de gros volumes, être performant grâce au machinisme et à la spécialisation, et surtout moins de bras. Une évolution qui se traduit inévitablement en consommation plus grande d’énergies, fossiles en particulier. Le tout pour des revenus faibles et un endettement croissant.
« Nous aidons vos exploitations à grandir », c’est le placard publicitaire d’une banque qu’on peut lire dans un quotidien régional. GRANDIR ! En France, la surface des exploitations ne cesse de grandir et le nombre des actifs agricoles de diminuer. Grandir en performance, en compétitivité, en machines, mais avec de moins en moins d’actifs, d’hommes et de femmes consacrés à l’agriculture. Ce qui n’est pas sans conséquences sur les organismes, le biotope, la biodiversité et les animaux. Il en résulte une pression accrue sur les personnes (maltraitance sociale, isolement, endettement, suicide) car les attentes sociétales sont fortes sur le coût alimentaire, le respect de l’environnement et le bien-être des animaux. En outre, l’agrandissement des exploitations rend la transmission du capital foncier problématique pour des jeunes qui voudraient s’installer.
Comment en est-on arrivé là ? Fortement réduite, la population agricole s’est retrouvée isolée, perdant la maitrise de ses outils et de ses décisions. La structure familiale traditionnelle qui portait l’exploitation ne peut plus porter un tel modèle. Des contraintes bancaires, administratives, techniques ont remplacé les anciennes servitudes. Pris en étau entre les attentes des consommateurs, l’endettement bancaire, les prix imposés par les industries agro-alimentaires liées au marché mondialisé et les prises de conscience environnementales, elle doit faire face à de nombreuses injonctions contradictoires. Le primat du libre-échange et de la concurrence expose les filières agricoles européennes aux produits importés à faible coût et à l’impact environnemental élevé. Le commerce mondial fait l’objet de négociations gagnant-perdant. Ainsi le secteur aérien se voit exonéré de taxe pétrolière et pas l’agriculture.
L’agriculture ne nourrit qu’une petite partie de ceux qui travaillent la terre. Malgré l’amplitude horaire, aucune mesure n’ouvre la voie à un revenu digne. Les subventions sont censées combler le déficit. Bénéficier des subventions de la PAC est un parcours du combattant numérique qui demande du temps et des compétences pour généralement récompenser la performance et la compétitivité. D’ailleurs, les discours politique et médiatique, complètement hors sol, ne cessent de louer cette excellence, ignorant la nature du vivant, les équilibres des écosystèmes. La détresse économique des agriculteurs ne vient pas des normes environnementales. Quand les sols sont assimilés à des supports de culture, la fertilité s’amenuise et la biodiversité s’effondre. Chaque année, on continue d’arracher des milliers de kilomètres de haies alors qu’on sait très bien le rôle essentiel qu’elles jouent pour l’infiltration de l’eau, la lutte contre la sécheresse et l’érosion des sols.
Les priorités politiques vont aux métropoles, où se projettent les rêves d’un monde urbain déconnecté. Les modes de vie urbains sont déconnectés des contraintes du SOL, de la SUEUR et des SAISONS. Il en résulte une méconnaissance de la relation terre-alimentation-travail, une artificialisation des sols accrue, un affranchissement des distances géographiques (en grandes surfaces, on trouve de tout partout), une libération de la pénibilité physique (probablement remplacée par le stress économique ) et une déconnection du temps (météorologique comme celui de la durée). Pour assurer la souveraineté alimentaire, la FNSEA et les JA prônent ce modèle productiviste afin de résister à la compétition mondiale. La Confédération paysanne plaide en faveur d’une agriculture plus localisée et moins démesurée.
La vison du progrès est trop souvent associée à :
- une rationalité industrielle : production / standardisation / transformation = nourriture à bas coût
- une économie avide de circulation des marchandises, sachant que ce qui circule génère du profit.
- une absence de perception du vivant (biotope) comme un écosystème (Tout est lié!)
- des moyens technologiques et des processus de sélection dépossédant les paysans de toute maîtrise de la terre, des semences et des animaux.
Où et par qui sont prises les décisions ? La ruralité est avant tout plurielle, elle fait partie d’un jeu de relations plus ou moins proches avec la ville et son rayonnement économique. Bien souvent, ce qui concerne la ruralité est décidé ailleurs que dans le territoire concerné. La question est très sensible pour les agriculteurs. Ils sont au plus près du vivant, du biotope, et subissent un empilement de réglementations votées à Paris ou Bruxelles. La complexité du vivant rend inopérante toute approche centralisatrice. Qu’y a-t-il de commun entre la champagne crayeuse, les vergers de la Drôme, le maraichage provençal, la polyculture de montagne, les vignobles du sud-ouest, l’élevage intensif breton ou extensif du Cantal ?
Pour sortir d’une vision clivante et d’un prétendu match « écologie contre agriculture », il est indispensable de cultiver une politique de concertation régionale : chambre d’agriculture, syndicats agricoles, filières bio, associations environnementales, INRAE, PAT (Projet Alimentaire territorial). Ceci afin de favoriser des décisions politiques éclairées capables de tenir compte de la diversité des sols, de l’hydrologie, du climat, d’accompagner la transition (climatique et énergétique) et moins dépendantes de l’industrie agro-alimentaire et de la distribution.
Recensement 2020 : 389 000 exploitations agricoles (en diminution : -100 00 depuis 2010)
superficie moyenne 69 ha (en augmentation, 55 ha en 2010)
583 110 ETP ( -12% en 10 ans)
Les exploitations spécialisée en élevage bovins lait sont celles dont les effectifs se réduisent le plus.