Un évêque à Terres de Jim (43)
« Les Terres de Jim », plus grande fête agricole de plein air d’Europe, organisée par les jeunes agriculteurs a permis au grand public et aux professionnels du monde agricole (plus de 25 000 visiteurs) de partir à la rencontre et à la découverte de la Haute-Loire.
Une occasion pour l’évêque, Monseigneur Crépy, d’aller à la rencontre des ruraux. Après avoir présidé la messe en plein air (tôt le matin, avec une température en dessous des 10°C), il a béni les tracteurs des participants aux finales de championnat de France de labour, qui avait lieu l’après-midi.
Le père Crépy nous a partagé son homélie :
Quand nous lisons la Bible, nous découvrons les liens étroits qui unissent l’homme à la nature, à la création elle-même. Pour évoquer l’amour de Dieu, l’existence humaine ou les relations entre les personnes, les textes bibliques s’inspirent de la nature. Ainsi de nombreux psaumes chantent la beauté de la création que nous pouvons contempler comme ici, à Séneujols, face à ces superbes paysages, façonnés par l’activité volcanique et par la main de l’homme, au cours des siècles. De même, la Bible évoque la fragilité de notre existence, comme celle de la nature : la vie humaine est une herbe changeante, « elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée. » (Ps 89, 5-6) Beauté et grandeur de la nature, mais aussi fragilité et disparition des êtres vivants, tels sont les enseignements des sages et des poètes de la Bible, quand ils observent le monde sous le regard de Dieu.
Jésus, aussi, instruisant ses disciples, les invitait à contempler la nature et le travail de l’homme. « Quand Jésus parcourait chaque coin de sa terre, il s’arrêtait pour contempler la beauté semée par son Père, et il invitait ses disciples à reconnaître dans les choses un message divin : ‘Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson’ (Jn 4, 35). ‘Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre.’ (Mt 13, 31-32). Jésus vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres s’en émerveillaient.[1] » Et surtout, n’oublions pas qu’au cours de cette messe, le Christ nous laisse, comme signe de sa présence et de son amour donné pour tous, le pain et le vin, fruits de la terre, de la vigne et du travail des hommes. C’est bien avec les fruits du travail des agriculteurs d’aujourd’hui que nous célébrons Celui qui est venu réconcilier le monde – à travers sa mort en croix et sa résurrection – et qui nous invite à vivre en paix entre nous-mêmes mais aussi avec toute la création.
Pour les chrétiens, la création n’est pas simplement la nature. L’univers, notre planète et tous les êtres vivants qui la peuplent trouvent leur origine dans l’amour de Dieu, dans le don de la vie que Dieu nous fait. « Pour la tradition judéo-chrétienne, dire “création”, c’est signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec un projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour qui nous appelle à une communion universelle. [2]» Il y a un projet de Dieu pour chaque créature, nous dit le pape François, c’est-à-dire que chaque être vivant a sa place dans la création. L’homme ne peut se comprendre, s’épanouir, trouver son bonheur sans reconnaître sa place au sein de la création dont il n’est pas le maître, mais au service de laquelle il reçoit une responsabilité particulière, parce qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Vous les agriculteurs, vous avez une place tout à fait essentielle dans la création car, par votre travail, vous nourrissez l’humanité mais aussi vous portez, pour une part, la responsabilité que notre planète – notre maison commune -, demeure ce jardin – le jardin de la Genèse – que Dieu confie à l’homme dès les débuts pour le rendre fertile et fécond pour tous : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde. » (Gn 2,15) Et le pape François de commenter : « “cultiver” signifie labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures.[3]» C’est une belle et grande mais difficile responsabilité que vous portez, dans la vie de nos sociétés humaines, et il est important de le rappeler, surtout en ces temps où bon nombre d’agriculteurs s’interrogent sur le sens de leur travail et vivent des situations difficiles et, parfois, désespérées.
Dans ce contexte, modestement mais sûrement, l’Eglise cherche à être attentive et proche des agriculteurs. D’ailleurs, le monde agricole et l’Eglise catholique ont souvent cultivé d’étroites relations. Rappelons, par exemple, dans les années d’après-guerre, le développement du syndicalisme agricole et des mouvements de jeunesse agricole – comme la J.A.C. (Jeunesse Agricole Catholique) -. Dans une lettre pastorale intitulée « Espérer au cœur des mutations du monde rural », les évêques d’Auvergne soulignent la place irremplaçable des agriculteurs dans le monde rural : « Sans la place de l’agriculture, qui nourrit l’humanité, façonne nos paysages et conjugue les forces vitales de la nature, l’espace rural devient un monde déshumanisé. [4]» Les défis humains et spirituels rencontrés aujourd’hui dans le monde rural – surtout face à la désertification de certains territoires -, sont les mêmes pour les paroisses comme pour les communes ; aussi reconnaître et favoriser la place et le rôle des acteurs du monde agricole est urgente.
Pour conclure, laissons le dernier mot à l’évangile de ce jour qui nous invite à être capables de renoncer à ce qui nous appartient pour devenir disciple du Christ (cf. Lc 14,33). Ainsi renonçons à l’illusion que la création nous appartient et que nous en sommes les maîtres et les propriétaires. Au contraire, cultivons l’esprit du bien commun – si cher à la doctrine sociale de l’Eglise – : nous habitons une maison commune qu’il nous faut préserver afin que tous y aient leur place et gardent leur dignité d’enfants de Dieu. Suivre le Christ, c’est devenir serviteurs de tous.
Au cours de cette messe, rappelons-nous enfin que : « L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, « la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même. [5]»
+ Luc Crepy – Evêque du Puy-en-Velay
[1] Pape François, Laudato Si’. Sur la sauvegarde de la maison commune, 2015, § 97.
[2] Idem, § 76.
[3] Idem, § 67.
[4] Les évêques d’Auvergne, Espérer au cœur des mutations du monde rural, Lettre pastorale, février 2019, p. 15
[5] Pape François, idem, § 236.